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Entretien avec le journal Ouest-France
Alain Musset.
Il dirige des recherches sur l'Amérique latine à l'École des hautes études en sciences sociales).
Le président Uribe qualifie d'« épopée » la libération des otages. C'en est une ?
Que les otages soient libérés, c'est merveilleux ! Cela s'est-il passé selon le récit qu'en fait Mario Montoya, le commandant de l'armée ? Il y a quelques points étonnants. D'abord, l'infiltration jusque dans l'état-major des Farc. Ce n'est pas si facile. Il s'agit d'une organisation extrêmement compartimentée en dizaines de « fronts ». Ensuite, la naïveté avec laquelle « Cesar » et « Enrique Gafas », les chefs très brutaux et expérimentés qui gardaient les otages, auraient laissé leurs guérilleros pour monter, sans armes, à bord de l'hélicoptère.
Cela fait penser à une reddition ?
On peut s'interroger. On dit, à Bogota, qu'ils pourraient bénéficier du plan « Justicia y Paz », un marché offert par Alvaro Uribe aux paramilitaires d'extrême droite : l'abandon des armes contre une amnistie et une réinsertion dans la société. Uribe l'a étendu à d'autres guérillas. Il y a eu, ces derniers mois, plusieurs désertions de figures des Farc, comme Karina, l'emblématique chef du 47e front, qui a déclaré, après 24 ans de lutte armée, que cela ne mène nulle part.
Le timing n'est-il pas lui aussi « intéressant » ?
Il soulève des questions : ces libérations sans qu'un coup de feu soit tiré interviennent alors qu'un nouveau scandale touche Uribe (portant sur sa réélection en 2006) ; les trois otages américains réapparaissent le jour où le candidat républicain John McCain est en visite à Bogota.
Ces libérations traduisent-elles les progrès de l'armée colombienne ?
Surtout l'affaiblissement des Farc. Elles ont perdu beaucoup de terrain face aux opérations permanentes d'une armée équipée, entraînée, financée par les États-Unis. Elles ont perdu leurs principaux chefs : le numéro deux Raul Reyes, tué en mars lors d'un raid en Équateur, et leur fondateur Manuel Marulanda décédé en mai. Elles ont perdu leur base : allez dans les quartiers pauvres de Medellin, les gens sont las des exactions et des trafics. Enfin, elles ont perdu leurs appuis extérieurs, après ce qu'a révélé l'ordinateur de Reyes de ses liens avec Chavez. Le moral est bas, les défections nombreuses.
Est-ce la fin des Farc ?
Les Farc sont aussi des « entrepreneurs » de la drogue. Elles ont encore de l'argent. Un éclatement est possible, une branche évoluant vers le banditisme, l'autre tentant de s'insérer dans la vie politique comme le Front Farabundo Marti au Salvador. Alfonso Cano, leur nouveau chef, fut l'un des négociateurs avec le gouvernement colombien en 1991-1992. Il avait tenté de créer une vitrine politique, le Mouvement bolivarien pour la nouvelle Colombie.
Uribe peut-il se réjouir ?
Non. La racine du mal demeure : la grande pauvreté et, plus encore, les immenses écarts de richesses. La Colombie est le seul pays du monde où les gens sont officiellement classés en « strates », de 1 à 6, selon leur richesse. Cela partait d'une bonne intention : moduler les tarifs des services publics. Mais ce système en est arrivé à structurer la société, au point que l'on peut lire des petites annonces du type : jeune homme de strate 3 cherche jeune fille de strate 3-4. Il marque et « emprisonne » les pauvres.
Recueilli par Bruno RIPOCHE (Ouest-France le vendredi 04 juillet 2008)
trouvé sur
Site Web de Ouest-France
Alain Musset.
Il dirige des recherches sur l'Amérique latine à l'École des hautes études en sciences sociales).
Le président Uribe qualifie d'« épopée » la libération des otages. C'en est une ?
Que les otages soient libérés, c'est merveilleux ! Cela s'est-il passé selon le récit qu'en fait Mario Montoya, le commandant de l'armée ? Il y a quelques points étonnants. D'abord, l'infiltration jusque dans l'état-major des Farc. Ce n'est pas si facile. Il s'agit d'une organisation extrêmement compartimentée en dizaines de « fronts ». Ensuite, la naïveté avec laquelle « Cesar » et « Enrique Gafas », les chefs très brutaux et expérimentés qui gardaient les otages, auraient laissé leurs guérilleros pour monter, sans armes, à bord de l'hélicoptère.
Cela fait penser à une reddition ?
On peut s'interroger. On dit, à Bogota, qu'ils pourraient bénéficier du plan « Justicia y Paz », un marché offert par Alvaro Uribe aux paramilitaires d'extrême droite : l'abandon des armes contre une amnistie et une réinsertion dans la société. Uribe l'a étendu à d'autres guérillas. Il y a eu, ces derniers mois, plusieurs désertions de figures des Farc, comme Karina, l'emblématique chef du 47e front, qui a déclaré, après 24 ans de lutte armée, que cela ne mène nulle part.
Le timing n'est-il pas lui aussi « intéressant » ?
Il soulève des questions : ces libérations sans qu'un coup de feu soit tiré interviennent alors qu'un nouveau scandale touche Uribe (portant sur sa réélection en 2006) ; les trois otages américains réapparaissent le jour où le candidat républicain John McCain est en visite à Bogota.
Ces libérations traduisent-elles les progrès de l'armée colombienne ?
Surtout l'affaiblissement des Farc. Elles ont perdu beaucoup de terrain face aux opérations permanentes d'une armée équipée, entraînée, financée par les États-Unis. Elles ont perdu leurs principaux chefs : le numéro deux Raul Reyes, tué en mars lors d'un raid en Équateur, et leur fondateur Manuel Marulanda décédé en mai. Elles ont perdu leur base : allez dans les quartiers pauvres de Medellin, les gens sont las des exactions et des trafics. Enfin, elles ont perdu leurs appuis extérieurs, après ce qu'a révélé l'ordinateur de Reyes de ses liens avec Chavez. Le moral est bas, les défections nombreuses.
Est-ce la fin des Farc ?
Les Farc sont aussi des « entrepreneurs » de la drogue. Elles ont encore de l'argent. Un éclatement est possible, une branche évoluant vers le banditisme, l'autre tentant de s'insérer dans la vie politique comme le Front Farabundo Marti au Salvador. Alfonso Cano, leur nouveau chef, fut l'un des négociateurs avec le gouvernement colombien en 1991-1992. Il avait tenté de créer une vitrine politique, le Mouvement bolivarien pour la nouvelle Colombie.
Uribe peut-il se réjouir ?
Non. La racine du mal demeure : la grande pauvreté et, plus encore, les immenses écarts de richesses. La Colombie est le seul pays du monde où les gens sont officiellement classés en « strates », de 1 à 6, selon leur richesse. Cela partait d'une bonne intention : moduler les tarifs des services publics. Mais ce système en est arrivé à structurer la société, au point que l'on peut lire des petites annonces du type : jeune homme de strate 3 cherche jeune fille de strate 3-4. Il marque et « emprisonne » les pauvres.
Recueilli par Bruno RIPOCHE (Ouest-France le vendredi 04 juillet 2008)
trouvé sur
Site Web de Ouest-France
