L'Amérique latine à un tournant politique ?
Ouest France, Editorial
mercredi 09 décembre 2009
Ouest France, Editorial
mercredi 09 décembre 2009
D'un côté, la réélection triomphale du premier président indien de Bolivie, Evo Morales, défenseur des petits producteurs de coca ; de l'autre, la victoire annoncée d'un économiste multimillionnaire formé à Harvard, Sebastian Piñera, à la présidentielle chilienne de dimanche : le cycle électoral en cours met à mal l'unité de l'Amérique latine face au grand voisin nord-américain. Les scrutins du moment montrent que l'ensemble des systèmes politiques nationaux est peut-être à un tournant, après deux décennies de démocratisation insuffisante et inaboutie.
En Uruguay, l'élection de Carlos Mujica, ancien guérillero reconverti à la social-démocratie, a confirmé que le retour de la gauche latino-américaine au pouvoir n'était pas le fruit d'une simple coïncidence des agendas nationaux, mais bien l'expression d'un rejet du modèle néolibéral imposé par le Fonds monétaire international aux pays émergents. Cependant, il existe une frontière idéologique entre les radicaux, qui veulent imposer le socialisme du XXIe siècle à coups de nationalisations et de rhétorique nationaliste (Chavez au Venezuela, Morales en Bolivie, Correa en Équateur, Ortega au Nicaragua), et les partisans d'une économie sociale de marché régulée par un État peu interventionniste (Bachelet au Chili, Lula au Brésil).
Le problème est que les Constitutions nationales, taillées pour d'autres situations politiques et d'autres moments historiques, ne permettent pas de répondre aux demandes des populations et aux projets de leurs représentants. La crise hondurienne est, à cet égard, révélatrice des problèmes rencontrés par les dirigeants latino-américains pour assurer leur légitimité et leur continuité au pouvoir. Pour avoir envisagé de changer la Constitution de 1982 qui interdit toute réélection du président de la République, Manuel Zelaya a été destitué et le scrutin du 29 novembre n'a pas permis de clarifier la situation.
Imaginé pour interdire aux apprentis dictateurs de se maintenir indéfiniment à la tête de l'État, le principe de la « non-réélection » n'a jamais assuré le caractère démocratique des institutions, comme l'a montré l'exemple du Mexique, dominé pendant soixante-dix ans par le Parti révolutionnaire Institutionnel. Dans un tel système, les politiciens n'ont pas de compte à rendre à leurs électeurs puisqu'ils disparaissent une fois leur mandat achevé. Leur carrière, déconnectée de la réalité, ne se joue pas dans les urnes, mais dans les obscures coulisses de leur parti.
Il existe des exceptions. Hugo Chavez a réussi à faire modifier la Constitution vénézuélienne pour pouvoir se maintenir à la présidence du Venezuela. Son ennemi intime, Alvaro Uribe, représentant de la droite traditionnelle et allié inconditionnel des États-Unis, a fait de même en Colombie et envisage de briguer un troisième mandat présidentiel (2010-2014). En Bolivie, une nouvelle Constitution (la 17e dans l'histoire du pays), donnant plus de poids et plus de droits aux communautés indigènes, a permis à Evo Morales d'acquérir la légitimité qui lui faisait défaut et d'assurer sa réélection. En revanche, au Chili, la Constitution héritée de Pinochet interdit à la socialiste Michelle Bachelet de se représenter alors qu'elle bénéficie d'une très grande popularité.
C'est ainsi qu'entre Constitutions en sursis et présidents à perpétuité, la démocratie cherche un nouveau souffle dans une Amérique latine plus que jamais fragilisée par les tensions sociales et les conflits ethniques.
(*) Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales.
http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-L-Amerique-latine-a-un-tournant-politique-_3632-1184890_actu.Htm